Solidarité avec Solidarité

Publié le par Luc de Goustine

 

La Pologne reste présente à la une des journaux. La grève pour le « samedi libre », les négociations serrées entre Solidarité et le gouvernement, la perpétuelle bascule entre le dialogue et l'épreuve de force relancent quotidiennement l'intérêt pour la situation polonaise. Mais on peut déjà dégager quelques enseignements fondamentaux.

L'unanimité de nos discours fait illusion. Certes, personne ne souhaite une intervention militaire en Pologne. Ni les P.C. occidentaux qui, depuis Budapest, Berlin, Prague et Kaboul, sont forcés de charger nommément le frère soviétique du poids des erreurs, ou des crimes, qui ne doivent en aucun cas venir éclabousser ici ce qui leur reste d'idéologie.

Ni les sociaux-démocrates et libéraux au pouvoir, dont la tactique de collaboration économique avec l'Est pâtirait d'une crise internationale, ce qui ébranlerait les fondements de leur règne.

Ni, bien sûr, les « faucons », pour autant qu'il y en ait actuellement en Europe, qui nous savent incapables d'une riposte militaire et attendent du nouveau président américain un rééquilibrage rapide des forces en vue d'un conflit qu'ils jugent inévitable.

Ni enfin l'U.R.S.S., parce qu'une partie de l'armée polonaise résisterait, que plus de la moitié des membres de son Parti Ouvrier sympathise avec le nouveau syndicat, enfin parce que des mouvements de grèves couvent en R.D.A., en Hongrie, en U.R.S.S. même, et qu'une opération militaire en provoquerait sans doute l'extension.

Donc, pas d'intervention, disent-ils. Mais simultanément, à mesure que le mouvement polonais s'affermit et s'incarne, il nous apparaît sous son vrai jour.

- Affirmation en acte de la libre association corporative, dans la plus pure et la plus ancienne tradition ouvrière, c'est-à-dire ni comme levier de subversion révolutionnaire, ni comme « partenaire social » agréé par le gouvernement, mais comme agent principal et responsable de la vie de l'entreprise, tant pour la maîtrise des conditions de travail que pour celle des objectifs de la production, qu'elle soit industrielle ou agricole. Capacité à imposer des solutions, même auto-restrictives comme le rationnement alimentaire, et le choix des priorités comme le logement social ou l'équipement de la paysannerie privée.

- Affirmation du droit à la communication sociale malgré le monopole pratiqué du fait de la structure même de l'état, et particulièrement au droit d'expression religieux, syndical, culturel.

- Affirmation de l'identité nationale, de la vocation propre à la nation au-dessus et au-delà du système politique - qu'il n'est pas utile de mettre en cause en tant que « socialisme », parce que l'objectif est de le plier, de le mettre au service d'une éthique religieuse, sociale, historique correspondant à la Pologne.

Donc, à mesure que le temps passe, et que s'accumulent les raisons raisonnantes de la non-intervention, les motifs qu'il y aurait pour mettre le holà augmentent. A quel point des deux courbes s'opèrera la rupture ?

Dans l'intervalle, il ne nous suffit pas, quant à nous, de faire des vœux pour que l'U.R.S.S. laisse faire, et que les Polonais, modérés par l'Église, n'en fassent pas trop. Il nous importe de mesurer les ambitions de Solidarité pour en nourrir les nôtres.

Ce que des partis prisonniers de la puissance ne peuvent envisager, ce que les dirigeants prisonniers du désordre établi qui leur rapporte, refusent, ce que les otages des blocs et des systèmes ne conçoivent même pas.

Être concrètement, ici même, solidaires de Solidarité.

Luc de GOUSTINE, 5 février 1981

 

Publié dans Pologne

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