Le roi et les régions

Publié le par Luc de Goustine

 

Fédérateur

 

En 1788, lorsque les cahiers des États généraux émirent le vœu que le royaume de France fût découpé « en circonscriptions uniformes et commodes avec un chef lieu facilement accessible», ils désignaient l'une des plus urgentes réformes à accomplir.

En vérité, l'éclatement des structures anciennes servit tout d'abord qu'au quadrillage en règle des états provinciaux « autant que possible en carrés égaux de 300 lieues carrées » - c'est-à-dire à leur dissolution et nivellement au profit de l'État central pré-totalitaire.

Pourtant; la revendication « régionaliste » demeure vivante. Les originalités de langue et de civilisation - Provence, Sud occitan, Bretagne, provinces de l'Est - lui servirent de refuges et de ferments. Mais même dans les terroirs à personnalité faible ou inexprimée, affleurait sans cesse un désir d'autonomie qui est, qu'on le veuille ou non, une donnée fondamentale de l'organisation des peuples.

Faute de pouvoir en convenir essentiellement, la pratique républicaine dut se rendre à certaines évidences concrètes: la réalité de l'unité territoriale s'imposait au moins comme cadre de la défense, de la gestion économique et du développement. Ce fut le sens des premiers décrets de 1955, 60 et 64, instaurant 21 régions de programme ou circonscriptions d'action régionale et donnant au Préfet de Région une administration propre. En revanche, dès que l'idée d'une déconcentration politique se fit jour, elle subit le choc en retour de la réaction jacobine et bourgeoise, et ce fut l'échec du référendum de 1969, qui valut du même coup au pays le départ du général de Gaulle.

Il fallut pourtant bien sacrifier à cette évolution inéluctable : par la loi du 5 juillet 1972, la région devenait un établissement public cependant qu'étaient créés le Conseil Régional, composé de parlementaires nationaux et d'élus locaux, et leur Conseil Economique et Social. En 81, il revenait à la Gauche, dont l'idéologie était curieusement contradictoire à ce sujet, de poursuivre ou bloquer ce développement.

L'EMANCIPATION

Avec une audace à laquelle il serait juste de rendre hommage, Gaston Defferre entreprit de le mener à bien. En trois ans, l'essentiel des dispositions législatives et réglementaires était pris pour que les établissements publics régionaux, devenus collectivités territoriales à part entière avec l'élection de leurs conseillers régionaux au suffrage universel en 86, jouissent dès lors des moyens financiers et humains nécessaires à l'exercice des compétences qui leur ont été transférées : développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région, aménagement de son territoire. Ces mesures s'accompagnent d'un accroissement d'autonomie pour les échelons immédiatement inférieurs, départements et communes, dont l'initiative est dégagée de la tutelle administrative pour ne plus être assujettis qu' a posteriori au contrôle du Tribunal administratif et à l'arbitrage de la Chambre régionale des Comptes.

De retour aux affaires, les hommes de la Droite, qui gouvernent pourtant 19 régions sur 21, ont, semble-t-il, la nostalgie de l'état de choses antérieur : la soumission des communes au Préfet, les compétences purement techniques de l'instance régionale, et surtout la polarisation de l'énergie politique sur la compétition autour du pouvoir central étaient plus à leur goût. Il faut « marquer une pause dans la régionalisation » déclare M. Pasqua. Et l'on entend remettre en cause le rôle et l'existence des Chambres Régionales des Comptes. Quant aux préfets - commissaires de la République, ils sont encouragés à reconquérir dans les faits certaines attributions dont la loi les a déchargés.

Pour dommageable qu'elle puisse se révéler, cette réaction ne peut inverser le cours des choses. Elle trahit seulement l'entêtement des libéraux français à s'enfermer dans un dilemme dépassé : tout accroissement d'autonomie dans le corps social représente à leurs yeux une déperdition du Pouvoir, et par là de l'unité nationale. Et l'on voit quotidiennement de ces gens qui clament : «Moins d'État !» dans l'économie, réclamant partout ailleurs un État plus autoritaire, voire plus policier.

LE ROI VOYAGEUR

Ce contresens, éthique autant que politique, sera corrigé quand nous voudrons bien aller au bout du monarchisme implicite de nos institutions. Car le secret d'unité qui soude des nations si différentes en une nation historique n'est pas dans la capitalisation des pouvoirs par le centre, mais dans la présence unanimement reconnue comme vivante d'un homme et d'une famille au service du principe d'autorité.

Seul en effet le Prince est partout présent dans ses « États». Breton, basque, occitan, lorrain, corse, champenois, il ne se divise pas pour régner mais transporte en tous lieux en la rendant sensible l'évidence première de toute vraie politique : qu'il n'y a pas de centre plus important en valeur que chaque homme, chaque femme et chaque communauté dans la Cité.

 

Luc de GOUSTINE, 2 juillet 1986

 

 

Publié dans Royalisme

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article