DES MÈRES CONTRE L'OUMA

Publié le par Luc de Goustine

 

Familles

 

Déchirement symbolique à tous égards, le drame des « mères d'Alger » a déroulé sous nos yeux un scénario dont il serait prématuré de dénombrer tous les impacts : du juridique au politique, et du diplomatique au religieux, le fragile édifice de nos rapports avec l'Algérie pouvait en être ébranlé.

Notre regard sur cet indispensable partenaire méditerranéen, pays socialiste encore captif des totalitarismes postrévolutionnaires, mais aussi nation de culture et coutume musulmane intimement marquée de notre présence séculaire, tout est sollicité de se réajuster pour cette seule raison que cinq femmes, hôtes indésirés de l'Ambassade de France à Alger, ont pendant cinq mois clamé leur exigeant amour de mères, et qu'elles ont été pour la première fois, sinon satisfaites, du moins de part et d'autres entendues.

Pour épouser ces hommes venues d'Algérie, il est vrai qu'elles avaient dû braver le consensus familial et social; il est également vrai qu'elles ignoraient pour la plupart la langue de leurs époux et la nature des liens qui les unissaient foncièrement à leur patrie. Si bien que celles d'entre elles dont le foyer, quelques années plus tard, avait volé en éclats, crurent pouvoir se reposer sur le jugement des tribunaux quand, selon la coutume française, ils leur attribuaient la garde des enfants en ménageant aux pères un droit réglementé de visite, et d'hébergement.

IMPUISSANCE DU DROIT

Ce que ni elles, ni d'ailleurs les magistrats, ne pouvaient en vérité concevoir, c'est la détermination avec laquelle plusieurs milliers de ces hommes, négligeant les jugements rendus et nonobstant les risques encourus (déchéance paternelle, prison, mandat d'amener..,) mirent à profit les vacances pour conduire en Algérie leurs enfants et les y laisser auprès de leur mère, grand-mère, sœur ou tante, qui constituaient à leurs yeux la vraie famille de leurs petits.

A partir de là, toute reconquête juridique des droits de ces mères était vouée à l'échec. Elles en firent douloureusement l'expérience en voyant s'enliser dans le sable algérien les procédures d'exequatur que le conflit de droits entre les deux pays obérait par principe. Restait le recours à une violence contraire, l'enlèvement, et le franchissement clandestin de la frontière marocaine, sûr moyen d'attiser la haine et d'attirer des représailles en retour. A l'inverse, se plier aux règles algériennes en se saignant aux quatre veines pour aller voir l'enfant quelques heures, sur place, sans même la permission de sortir du domicile de la famille...

Les associations de mères formées dès 1982 furent vite amenées à situer leur combat non seulement sur le plan juridique, en poussant la justice algérienne dans ses retranchements, afin qu'apparaisse le droit, même non-écrit, sur quoi elle se fondait, mais aussi et surtout à faire émerger les affaires à la surface politique de l'actualité. D'où les manifestations lors de la visite du président Chadli, en novembre 1983, d'où l'opération « Un bateau pour Alger », qui fut annulée au dernier moment en raison des promesses gouvernementales, d'où l'intervention auprès du Président de la Commission des Droits de l'Homme à Genève, et la question posée en séance de l'ONU, d’où enfin l'occupation de l'Ambassade à Alger où, du 17 juin au 23 novembre 1985, le sort de ces cinq femmes déterminées tint en haleine l'opinion française et impressionna profondément les Algériens. La négociation était pour de bon engagée.

RETABLIR UN DIALOGUE

Il restait aux médiateurs désignés par les gouvernements, Maîtres Boucher et Belloula, à faire élaborer une convention qui rétablisse, à défaut d'identité de vues, des ponts juridiques praticables. La Charte de la Famille promulguée récemment en Algérie ne facilite certes pas les rapprochements quand elle affirme que l’enfant, avant d'appartenir à sa mère (Ouma) charnelle, appartient à la grande communauté (OUMA) familiale et religieuse musulmane. Et cependant, notre droit dérive d'un principe analogue quand il subordonne l'exercice des droits parentaux à des condition éthiques qui procèdent d'une certaine vision de l'homme en société (largement forgée par le christianisme) et qui sourd en quelque sort de notre conscience commune. Il n’y a donc pas d'opposition irréductible si l’on situe le dialogue sur ce plan qui est de la fonction maternelle, ou maternante, de toute société. Par contre, il est à craindre que le thème individualistedes « Droits de l'Enfant » dont Me Bouchet voudrait faire admettre la primauté, n'éveille l’incompréhension dans l'esprit des musulmans. On devine cependant combien la question peut être stimulante et, quoi qu'on en dise, fécondante pour notre propre réflexion – à condition d'entrer dans le long temps des légistes, ce qui est d'une maigre utilité à ces femmes qui n'ont qu'un désir au cœur : retrouver leurs petits.

Là où toutes les issues semblaient closes, il fallait un trait de génie pour poser l'acte qui ouvre et libère. La cinquième de ces femmes, Hélène Montétagaud (1) proposa simplement ceci : qu'on leur confie leurs enfants pour ces vacances de Noël. Sans jugement ni convention officielle. Qu'on leur confie seulement les petits. Elles les rendraient. Malgré la loi française qui les autoriserait à les garder, qui même les y oblige puisqu'elles en ont la garde, et malgré leur désir, et le désespoir qu'elles auraient à reconduire à l'avion cette chair de leur chair. Elles les rendraient. Personne -n'étant garant juridique d'une telle promesse, certains juristes la réprouvant même dans son principe, il n'y aurait aucune garantie en dehors de leur engagement personnel. Sur l'honneur.

UN MINIMUM DE CONFIANCE

Ce langage a frappé juste. Les enfants confiés à Georgina Dufoix, qui avait su coupler cet acte humanitaire et le voyage officiel qu'elle faisait à Alger, ont été ramenés par elle le 2 janvier. Et par cette trêve, encouragée par les autorités chrétiennes et musulmanes, la Ligue des Droits de l'Homme, la LICRA, le MRAP, SOS-Racisme, et la majorité des syndicats et des partis les plus contraires, une confiance minimale a été restaurée qui servira de base et de rappel aux dures négociations qui s'annoncent.

Car cette semaine de grâce à son prix. Seule des cinq mères, Hélène n'a pu accueillir sa Myriam dont le père refusait obstinément de la céder. Elle s'est rendue à Skikda-Philippeville pour l'apercevoir, sous garde. Mais par le geste qu'elle a voulu et la question vivante qu'elle pose à la conscience musulmane et française, Hélène a rendu au conflit juridique et politique la seule chance possible d'être humainement livré et, s'il plaît à Dieu, dominé.

 

Luc de GOUSTINE, 15 janvier 1986

 

(1) Notre compatriote limousine que nous avons tenté d'appuyer au long de ce combat.

 

 

Publié dans Algérie

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